Histoire de papiers

Né en Chine, le principe de fabrication du papier se répand en suivant les voies du commerce et des conquêtes, atteignant les rives de la Méditerranée avant la fin du premier millénaire. Tout au long de ce périple, cet art apprend à s'accommoder des ressources propres à chaque région et à chaque époque, mais c'est en Italie que se fixent dans leur plénitude, pour près de 4 siècles, les techniques de la papeterie européenne. 

Le chiffon de lin ou de chanvre est d'abord trié, puis mis à fermenter avant d'être battu par des maillets mus par la force de l'eau. La pulpe de cellulose ainsi produite est diluée dans une grande cuve, et la feuille de papier se forme sur un fin tamis métallique par égouttage de cette solution. " Couchée " sur un feutre, pressée, séchée, elle est enfin plongée dans un bain de gélatine. A nouveau pressée et séchée, elle est lissée avant d'être emballée puis expédiée.  Les avances qui s'imposent avant le milieu du XIVème siècle dans les Marches, permettent de tels gains de productivité et de qualité que le papier évinçe le parchemin, son seul rival. 

Les débuts de la papeterie française datent de la seconde moitié du XIVème siècle. Les premiers moulins sont installés en Champagne, près de Paris et en Avignon, répondant aux besoins du grand commerce et des administrations royale et pontificale. Deux vagues ultérieures couvrent de battoirs l'ensemble du royaume au XVème et XVIème siècles, l'Est du pays devançant le Sud-ouest, la Bretagne et la Normandie. Ces régions d'orientation atlantique assument bientôt leur vocation exportatrice, et dès le XVIème siècle la France s'impose comme le premier producteur européen, servant notamment les îles Britanniques et l'Europe du Nord. Cette supériorité est incontestée jusqu'au tournant du XVIIIème siècle. Pour leur part, les moulins auvergnats dominent l'industrie du royaume du XVIème au XVIIIème siècle. La différenciation du tissu industriel étant moins marquée que de nos jours, cette suprématie tient plus à la qualité des papiers Auvergnats qu'à un quelconque monopole. L'Auvergne domine le marché français à travers le marché parisien, de loin le plus important de France à partir du XVIIème siècle. Deux villes se partagent la tâche. La réputation de Thiers, célèbre aussi pour sa coutellerie et sa quincaillerie repose sur la production de papier destiné à l'écriture. Une quarantaine de kilomètres plus loin, Ambert modeste capitale du Livradois, se consacre aux meilleurs papiers d'impression, La distinction tient aux formats mais plus encore au degré d'encollage, la plume exigeant un papier plus imperméable à l'encre. 

 

A Annonay

En 1769, Pierre Montgolfier compte cent treize employés dans son établissement mais tous ne sont pas des papetiers, il y a aussi les maçons, les charpentiers qui construisent et entretiennent les diverses installations, les valets et servantes sont occupés à la cuisine ; il ne faut pas oublier que les ouvriers sont logés et nourris sur place. En général, chaque ménage dispose d'une chambre particulière alors que les célibataires sont parfois regroupés par petit nombre ; les repas se prennent en commun avec le maître et sa famille : " ils sont nourris aux frais du patron, et généralement bien nourris. Tous, cependant, mettent la nappe trois fois par jour ; à dîner on leur donne la soupe, un morceau de viande de boucherie et du lard ou petit salé, ce qui peut être évalué à une livre par personne ; à goûter, la soupe ; quelques légumes fricassés comme pois, fèves, truffes appelés topinambours ou quelque autre production équivalente, avec un morceau de fromage de gruyère ; à souper encore de la soupe, avec les mêmes portions et quantités que le matin ; du vin à chaque repas à discrétion, il est étendu d'un tiers d'eau si l'on veut avoir la paix dans le ménage ; outre ces trois repas, toutes les fois que les ouvriers pouent la journée, c'est-à-dire qu'ils font les avantages ou qu'ils sont occupés à la fabrique du grand papier, ils ont un quatrième repas appelé extraordinaire, composé d'une pinte et un tiers de vin pur, ce qui fait un pot, mesure de la province, et du pain à discrétion ".

 

A Tence

En 1738, une enquête, conduite par l'intendance du Languedoc signale : " il y a deux papeteries, celle de Boyer Chambonnet au Tiac, paroisse de Tense sur le Lignon composée de 4 moulins et trente ouvriers : le Sieur Laborie ambulant du contrôle a esté visiter cette papeterie de la part de Monsieur Gramond, pour savoir si elle pourroit subvenir à fournir la compagnie de papier pour la province du Languedoc, et ce fabriquant l'assura que cela ne deboucheroit pas mesme toute sa marchandise, et qu'il se chargeroit non seulement de cette fourniture mais mesme de la faire voiturer jusques à Montpellier….. " 

En 1745 enquête par le subdélégué du Puy : la papeterie du Tiac, paroisse de Tence sur le Lignon, a 5 moulins faisant dix neuf piles ferrées. 

 

 

Histoire de dentelles

La dentelle est une industrie essentiellement paysanne. Pendant quatre siècles, elle fournit un salaire d'appoint à la majeure partie des femmes du département de la Haute-Loire. L'introduction de la Dentelle en Velay n'est pas historiquement constatée avant la seconde moitié du XVIème siècle. Ce sont les Italiens qui importèrent les secrets d'un art dont le vénitien Vinciolo fixe en 1587 les " singuliers et nouveaux pourtraicts ". La dentelle venue d'Italie, est introduite d'abord dans les couvents. " Parer les autels, revêtir les madones, embellir les ornements sacerdotaux, tel fut le but premier des ouvrières. Ce n'est pas l'esprit de lucre, c'est le pur et mystique amour de l'Eglise et de la Vierge qui inspira ces prodiges d'ingénieuse attention, les Ave, les Pater, les Chapelets, noms anciens des dentelles du Puy : gracieux témoignage de leur pieuse origine " ( Baudrillart in les populations agricoles de la France). Ensuite la dentelle se sécularise.

Les XVIIème et XVIIIème siècles sont employés à industrialiser les méthodes étrangères et à développer une renommée acquise vers 1698, se manifestant par des exportations importantes.

A cette date, en effet, l'intendant du Languedoc, écrit : " on fait des dentelles au Puy que l'on porte en Espagne, en Allemagne et dans tous les pays étrangers et qui produisent des sommes énormes ", tandis que d'autres notent que Marseille vend pour plus de 350 000 livres pour la Provence, 15 % en Italie, 75 % en Espagne. En 1673 des affaires se traitent entre fabricants du Velay et négociants de Malte.

Ceci ne signifie pas que la fabrique n'ait connu des jours difficiles. Grâce au jésuite François Régis, les ordonnances du Parlement de Toulouse de 1640 faisant défense de  porter aucune dentelle sur le vêtement avaient été rapportées, mais, au début du XVIIIème siècle, la vie chère menaçe sérieusement l'industrie dentellière et il faut l'intervention énergique des Etats provinciaux pour éviter une débâcle qui aurait plongé la population dans la misère.

Ces temps difficiles sont surmontés et un mouvement intense d'affaires marque les années précédant la Révolution. Des fortunes s'étayent rapidement et l'opulence engendrant l'ambition, les marchands s'efforcent de se donner aux yeux de leurs clients d'Amérique figure de gentilshommes en se faisant élire aux fonctions consulaires et en mettant une particule à leur nom roturier….

Une rénovation très adroite de la Dentelle maintient sa réputation au cours du XIXème siècle : Théodore Falcon inspirera longtemps ses successeurs  : méthodes habiles, procédés sérieux permettant de suivre les nécessités du moment, de se plier aux caprices de la mode, de combattre les empiètements de la mécanique et de garder à la fabrication l'élégance et le fini seuls susceptibles de lui assurer la clientèle, de sauvegarder leurs intérêts et ceux des dentellières de nos campagnes.

Le travail du carreau, que la paysanne fait chez elle, à ses heures, sans matériel coûteux, s'adapte admirablement avec sa mentalité indépendante et la nécessité de compléter les gains trop souvent médiocres.

L'industrie de la dentelle est une industrie de liberté et de grand air ; elle ne vicie pas la santé et n'émacie pas les corps robustes des montagnardes. Elle accoutume l'œil de la paysanne aux beaux dessins, aux lignes heureuses et gracieuses ; exigeant le soin et la propreté dans le maniement des fuseaux, elle fait insensiblement l'éducation de son goût et l'éducation de sa personne. Au point de vue social, cette industrie a encore le sérieux avantage de mettre quotidiennement la montagne reculée et isolée en communication avec le chef-lieu, c'est-à-dire l'aisance, la sociabilité, le progrès.

Ceci explique l'attachement ancien de la population féminine de la Haute-Loire pour la dentelle. Tous les voyageurs qui ont traversé  la contrée l'avouent. Ils disent aussi que l'apôtre de cette industrie a été depuis longtemps la béate*. Grâce à leur influence, le métier à dentelles est resté cher à de nombreuses générations. Ce métier a servi de jouet à l'enfant, de gagne-pain à la femme, de distraction à l'aïeule. Quel est donc ce métier ? On le nomme carreau.

L'ouvrière met une sorte de coquetterie à orner son carreau aussi est-il recouvert d'abord de carton, puis d'une toile cirée à couleurs voyantes ou de papier peint du plus riche dessin. Elle ajoute des paillons brillants, de petites fleurs et des morceaux de métal découpé en diverses formes. Les paillons risquant d'être arrachés, sont recouverts de lamelles qui autrefois étaient fait  d'écaille ou de corne. Les élégantes doublent de soie le dessus et l'arrière de leur carreau : elles le décorent de rubans. Les épingles jadis fabriquées au Puy où on comptait huit " espiouniers " en 1540 et quatorze maîtres en 1691 livrant des épingles en cuivre jaune à tête de cire. Souvent leur tête garnie de verre de couleurs voyantes vient encore rehausser l'éclat du métier que protège une housse rabattue après le travail. Les fuseaux auxquels est attaché le fil ou la soie pendent sur la surface du carreau, de chaque côté du rouleau médian.

 

Isabelle Mamour et la légende de la dentelle

 

On sait que Le Puy a été au Moyen-âge le rendez-vous de la chrétienté et il suffit de rappeler ici que le célèbre oratoire de Notre Dame, placé sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, attira durant des siècles les fidèles innombrables qui venaient de toute la France, d'Espagne et même d'Italie, chercher la paix morale procurée par les jubilés ou " grands pardons " de la mystérieuse Vierge noire. Ces manifestations religieuses créèrent la ville dans l'ombre de la cathédrale et sur les avenues qui accédaient à la Montagne sainte. On se préparait avec soin à recevoir les pénitents, on mettait sur amour-propre à décorer les rues et les places, les chapelles et les églises, spécialement la Cathédrale et sa statue miraculeuse. Or, au début du XVème siècle, prêtres et fidèles avaient résolu de doter la Vierge d'une broderie sans pareille destinée à plaire aux étrangers de passage non moins qu'aux croyants du pays. On confia le projet à Isabelle Mamour. A force de persévérance et de recherches, la jeune fille eut l'idée d'attacher à des épingles fixées sur une planchette rembourrée et couverte de drap plusieurs petites navettes garnies de fil de Hollande très fin, puis elle entrelaça tour à tour ces navettes en déplaçant successivement des épingles et forma ainsi les mailles d'un tissu entièrement ajouré, d'une légèreté et d'une régularité bien supérieures à celles des tissus qu'elle avait produits jusqu'alors. Isabelle Mamour avait inventé la dentelle.