Les raisons qui poussent Jean-Jacques à quitter Vernoux sont probablement liées au double besoin : travail-mariage ; en revanche aucune information  ne vient corroborer l' hypothèse de laisser le patrimoine familial à son frère aîné Pierre. 

Jean-Jacques quitte donc son plateau pour "monter" à Tence où il épouse Jeanne Rouzier/Rozier le 30 novembre 1747. A cette date la ville dépend du Vivarais, la France est sous le règne de Louis XV. Le curé de Vernoux  lui a donné la remise. 

Pour éviter la bigamie, l'époux étranger à la paroisse doit présenter ce document délivré par le curé de sa paroisse.

La future mariée est âgée de 24 ans, native à Tence, elle est la  fille de François Rouzier et Marie Béal de Chambonnet.

Le contrat est passé chez Maître BRUEIRE, notaire.

 

Jean-Jacques et Jeanne ont neuf garçons. Pierre naît le 7 octobre 1748 ; les grands-parents paternels et maternels sont-ils décédés ou trop éloignés ? Jean Rouzier oncle paternel  est parrain et la marraine Thérèse Charbonnier est sa tante maternelle. 

Je n'ai d'informations que pour deux des garçons : 

François qui va servir de guide dans l'histoire des Laffanaire , et Pierre,  dernier né en 1763 qui trouve la mort à 14 ans : son acte de décès mentionne : " trouvé noyé près du moulin du prieuré de la ville de Tence par la grande rivière le 15 et a été visité et secouru inutilement par Monsieur Marnas Chirurgien de la ville. A été reconnu par son père ".

 

Jean-Jacques et Jeanne habitent le lieudit Chambonnet de 1747 à 1756 puis Utiac en 1760. Possèdent-ils  comme chaque famille, un troupeau de moutons  qu'ils tondent une fois l'an et s'habillent avec cette laine non teinte et filée sur la coulougnette* ? Confectionnent-ils leurs linceuls* et chemises dans le coton  qui se diffuse dès ce XVIIIème Siècle dans les campagnes ?

Comme dans toutes les maisons de la région, Jeanne occupe les veillées à confectionner la dentelle renommée pour sa finesse. Et sans doute Jean-Jacques abandonne-t-il l' atelier pour cultiver la terre pendant les mois consacrés aux moissons.

Le travail ne manque pas : Chambonnet et Utiac abritent la papeterie, industrie créatrice d'emplois. Mais parce que François, guide du récit, sera marchand dentelier, et que nombre de ses descendants deviendront passementiers, j'ai une forte présomption :  cette famille est ancrée depuis longtemps dans l'industrie de la laine, coton, et autres rubans et dentelles.... 

Que sont devenus les sept autres enfants ? Les famines -1750-1752-, qui frappent le pays ont-elle raison de leur jeune vie plus fragile que celles de leurs frères ? 

L' absence d'éléments ne me prive pas de poursuivre l'histoire puisque François guide ce récit de sa naissance à Tence en 1756, son mariage avec Anne Mounier en 1780 à Saint-Julien-Molhesabate village d'où est originaire la mariée,  jusqu'à sa mort à l'âge de 31 ans, à la veille de la Révolution. Il a trois enfants avec Anne  dont Jean né en 1781 qui va assurer mon relais. Devenue veuve, Anne se remarie avec Jean Alexis May le 17 novembre 1789.  [Contrat de mariage établi le 12 octobre déposé dans Généanet]. Le contrat renseigne sur la dot et sur la position de la mariée : "(...) la future épouse apporte 300 livres (…) qu'elle a gagné étant veuve par ses épargnes et qu'elle délivrera à son futur époux avant l'accomplissement du mariage. Ce dernier en demeurera chargé sans qu'il soit besoin d'autre changement (...)". Voilà qui démontre la place de la femme qui n'a pas encore de statut juridique.

Contrairement à son premier mari, Marchand dentelier, Alexis est cardeur de laine et journalier. 

En 1750, le terme de journalier n’a pas du tout le même sens que de nos jours. En effet, le journalier d’aujourd’hui est placé communément tout en bas de l’échelle sociale. Il n’en était rien au 18ème siècle. C’était une catégorie relativement privilégiée. Ces gens étaient suffisamment aisés pour ne travailler chez les autres qu’un jour ou deux par semaine. Il s’agissait d’un emploi de complément.

Anne, Marie et Thérèse, sœurs et Jean André frère utérins viennent agrandir la fratrie existante. 

L'acte de baptême d'Anne est rédigé par le curé qui a mentionné en marge de l'acte " la roche " ce qui signifie que le curé a baptisé à la maison, sur le lieu même d'habitation. 

Les actes de naissance de Marie, Jean-André et Thérèse sont établis par l'officier de la République. Ils ont tous en commun d'avoir été rédigés avec plus ou moins de retard [respectivement 8 mois, 17mois et 7 ans]. Les deux derniers actes portent la mention particulière "pas d'autre prétexte que l'ignorance du père "ou" le père ne s'est pas présenté que par cause d'ignorance sans aucun autre prétexte ".

Alexis May a-t-il ce caractère froid et taciturne, irascible, forte tête, décrit par Ulysse Rouchon ?  prédisposant au non respect des Règles ? 

Alexis se méfie-t-il des discours de la Société des Amis de la Constitution qui parviennent aux oreilles des paysans du canton ?

"Vous autres paysans avez plus d'inquiétudes que vous n'en avez jamais eu ; les uns vous disent que vous allez être encore plus malheureux qu'autrefois et que vos tailles vont doubler ; les autres vous disent que les prêtres ne peuvent pas prêter en conscience le serment qu'on leur demande ; les autres vous disent que la foi et la religion se perdent (…) Tous ceux qui parlent comme cela (…) ne manquent pas de dire : il faut se révolter. (…) il est nécessaire que nous vous fassions ouvrir les yeux (..) et d'expliquer, sous forme de propagande, ce que prévoit la Constituante.

C'est la période où le clergé doit se soumettre à la constitution civile : la loi (20.9.1792) prévoit le transfert des registres anciens du presbytère à la mairie (...). Le sud de l'Auvergne, région excentrée qui conserve une forte identité locale, fait partie des départements où les curés non-jureurs (appelés réfractaires) sont majoritaires. Ce même clergé soutient les chouans, continue à assurer les sacrements, se cache chez les particuliers, dans les fermes, la campagne. Les messes se disent dans les bois ou dans des maisons privées. J. Salichon curé du secteur pastoral actuel de St-Julien Molhesabate me dit qu'à cette époque le curé dudit lieu n'était pas réfractaire, bien au contraire... En effet, Ulysse Rouchon écrit : "La religion tient une grande place dans les pratiques. Les cérémonies ecclésiastiques sont prétexte à divertissements pour les paroissiens éloignées des villes. Le Jeudi Saint, la Fête-Dieu sont des solennités que le vellave ne veut pas manquer. Les baptêmes sont célébrés en grande pompe ; les mariages sont accompagnés de musique, de copieux repas, de promenades en cortège, de distributions de dragées et souvent les rues pour la circonstance sont ornées de barricades fleuries".

Mais en est-il de même en cette période d'agitation ? Difficile en tout cas de trouver une explication aux retards de déclaration. La force de la tradition peut être une raison suffisante pour faire baptiser les enfants comme par le passé, en ignorant la loi ... Il est cependant troublant de constater que les déclarations ont lieu dans la période où le Concordat est signé  entre Napoléon Bonaparte et le Pape Pie VII, texte qui rétablit, en autres, les prêtres dans leurs fonctions.  

 

Jean Laffanaire né le 17 août 1781 à Montregard n'embrasse pas le métier de cardeur, il sera cultivateur.  Aucune trace de sa soeur Marie-Anne ° en 1784 à Tence , ni de son frère Jean-François ° en 1786 même paroisse de Tence.....

Il se marie avec Marie Guilhomon le 18 février 1806 à Dunières. Marie est la fille de Blaise Moulinier en soie. Il y a fort à parier que Jean est à la fois cultivateur et moulinier. Sur les quatre enfants issus du couple,  deux vont décéder sans descendance : Anne Rubanière, à l'âge de 21 ans - Antoine menuisier décède à Crépol dans la drôme, à l'âge de 32 ans. Les 2 garcons survivants Jean et Blaise seront tour à tour journaliers, passementiers.

Blaise se marie à Dunières le 26 février 1838 avec Catherine Rascle laquelle lui donnera 5 enfants en 8 ans. 

Suite du destin de ces 2 gars dans la saga De Dunières à St-Etienne